Les dernières découvertes scientifiques sont en train de la réhabiliter et la voilà qui reconquiert depuis peu ses lettres de noblesse. Alors le chanvre, futur acteur majeur de notre santé ?
Du plein-emploi au chômage technique
Le chanvre, Cannabis sativa, n’en finit plus d’agiter nos esprits. Depuis la nuit des temps, par la sélection et le croisement de ses cultures, deux espèces ont principalement émergé. La première est le chanvre Cannabis sativa sous espèce sativa, destinée à produire de la matière première pour la fabrication de fibres et de graines alimentaires.
La deuxième, le chanvre dit indien, Cannabis sativa sous espèce indica, s’est développée pour son usage cultuel, médicinal et festif. Depuis l’Antiquité jusqu’aux années 1930, le chanvre berçait donc la vie des hommes dans toutes civilisations pour la confection de tissus, de vêtements, de cordages et de voilures de bateaux...
Ses graines servaient à l’alimentation humaine et animale. On en faisait de la farine et de l’huile. La variété indica, aussi appelée marijuana ou plus simplement cannabis, fut adoptée par les Occidentaux bien plus tard, depuis les colonies au XVIIe siècle, pour ses vertus médicinales et récréatives du fait de ses effets sur le cerveau. Au début du XXe siècle, coup de tonnerre dans les chaumières : un lobbying de puissants industriels américains finit par faire interdire par l’ONU la variété indica comme substance dite « stupéfiante ». Comme prévu, la production de son cousin, le chanvre industriel, en fut sévèrement touchée et drastiquement contrôlée au bénéfice de l’industrie du coton et des fibres synthétiques.
Une image à reconsidérer d’urgence
Encore aujourd’hui, le terme « cannabis » semble irrémédiablement associé au mot « drogue », d’où son jugement péjoratif auprès de l’opinion publique. Ces solides préjugés ont pour origine, d’une part la catégorisation arbitraire de Cannabis sativa en drogue dure, avec les mesures et postures politiques et scientifiques en rapport depuis un demi-siècle, et d’autre part, la méconnaissance des autres variétés dotées de propriétés pourtant fort intéressantes.
Il est vrai aussi que suite à sa prohibition, les cultivateurs illégaux avaient fait preuve de créativité en mettant au point dès les années 1970 certains hybrides de chanvre contenant des pourcentages très élevés (jusqu’à 30 % versus quelques pourcents seulement en général) en tétrahydrocannabinol, le fameux THC qui n’est autre que la molécule planante responsable de sa sulfureuse réputation. Résultats : des effets euphorisants incomparables pour les consommateurs, mais aussi brutaux et parfois responsables de troubles neurologiques plus ou moins sévères, allant jusqu’à la chronicité. Ces états heureusement peu fréquents n’ont pas manqué de conforter les anti-chanvre dans leur position. Une analogie grossière mais parlante avec l’alcool reviendrait à comparer ces hybrides très chargés en THC à l’ingestion d’une cannette de bière par rapport à celle de plusieurs verres de vodka pure. Alors certes, il existe quand même une possible addiction avec le cannabis « non survitaminé », mais, contrairement aux idées reçues, rien de comparable avec celles de l’alcool et du tabac d’après les nombreux rapports sérieux sur le sujet. Idem pour la dangerosité du cannabis, toujours surestimée, et bien en deçà des risques inhérents à l’alcoolisme, au tabac, ou même à l’ingestion chronique de médicaments opioïdes, ces psychotropes licites responsables de situations sanitaires plus que préoccupantes.
Mais, au-delà du nécessaire repositionnement scientifique autour du chanvre, les bonnes nouvelles viennent surtout de sa composition unique réactualisée, aussi bien pour l’optimisation de notre alimentation que pour des avancées médicales de premier plan dans de nombreux secteurs de la santé.
Un signe des temps qui ne trompe pas: depuis dix ans, le pays à l’origine de son interdiction, les États-Unis, fait marche arrière, et l’on ne compte plus le nombre d’États américains qui, tous les mois, optent activement pour la libéralisation du chanvre.
De nombreux pays dans le monde les imitent, se mettent à dépénaliser le chanvre et à autoriser a minima des études cliniques pour son utilisation thérapeutique... quand ce n’est pas pour autoriser son utilisation récréative contrôlée !
Un vrai super-aliment
Le chènevis, c’est-à-dire la graine de chanvre, connaît en ce moment un énorme succès dans les marchés de qualité biologique. Il permet d’obtenir une farine et une huile lui valant la réputation de « super-aliment ». Son goût assez doux se prête volontiers à la réalisation de sauces, mais il est possible d’en profiter encore plus simplement, en le saupoudrant directement dans vos plats. Ici, nul effet euphorisant ! La farine, comme la graine, ne renferme pas (sinon extrêmement peu) de THC.
La composition nutritionnelle de la graine de chanvre est d’abord remarquable par sa richesse en vitamines, en minéraux et en graisses de qualité. Ces dernières donneront une huile exceptionnelle par ses acides gras poly-insaturés, dits essentiels : ce sont les fameux oméga-6 et oméga-3, mesurés ici avec un rapport de 3 pour 1, soit l’équilibre idéal pour la santé ! Rappelons que les oméga-3 sont des facteurs de protection cardiovasculaire et cérébrale à condition d’en consommer régulièrement, soit l’équivalent de 2 cuillères à dessert par jour.
Les autres huiles n’ont qu’à bien se tenir
Entendons-nous bien, il ne faut pas confondre, sur le plan sémantique, l’huile de graines de chanvre alimentaire et cosmétique, sans THC, et l’huile de chanvre totalement illégale obtenue par extraction de la résine de chanvre psychotrope, pouvant dépasser 40 % de THC. Dans les conseils qui suivent, nous parlons bien évidemment de la première. Au goût, l’huile de chanvre est meilleure que l’huile de colza. Elle est aussi plus équilibrée. À y regarder de plus près, aucune huile ne fait mieux…
Comparaison du taux d’acide gras dans les graines à huile | |||||||||
Graines | Rapport oméga-6 / oméga-3 | Acides gras poly-insaturés (AGPI ou PUFA) | Acide linoléique (AL) | Acide alphalinolénique (ALA) | Acide alphalinolénique (ALA | Acide stéaridonique (SDA) | |||
Huile de graines de chanvre | 2,5 | 84 | 22 | 56 | 4 | 2 | |||
Fibre de graines de chanvre | 2,7 | 77 | 21 | 55 | 1 | > 1 | |||
Pépins de cassis | 4,1 | 81 | 13 | 48 | 17 | 3 | |||
Lin | 0,2 | 76 | 61 | 15 | 0 | 0 | |||
Onagre | > 100 | 85 | 0 | 76 | 9 | 0 | |||
Tournesol | > 100 | 63 | > 1 | 63 | 0 | 0 | |||
Germe de blé | 10,2 | 56 | 5 | 46 | 5 | > 1 | |||
Graines de colza | 1,8 | 36 | 13 | 23 | 0 | 0 | |||
Soja | 6,9 | 63 | 8 | 55 | 0 | 0 | |||
Bourrache | > 100 | 66 | 0 | 42 | 24 | 0 | |||
Maïs | 60 | 60 | 1 | 60 | 0 | 0 | |||
Olive | > 100 | 8 | > 1 | 8 | 0 | 0 |
Sur le plan protéique, la graine de chanvre possède en outre tous les acides aminés dits essentiels assortis d’une excellente digestibilité, égale sinon supérieure aux autres graines couramment employées comme les noix et certains légumes secs.
C’est donc la nouvelle huile de table « santé » par excellence ! D’autant qu’elle résiste bien à l’oxydation ! Cela étant, nous recommandons bien entendu des graines de chanvre issues de l’agriculture biologique, et une huile d’extraction naturelle, non raffinée, sans solvants ni chauffage industriel. À ce propos, il est primordial de ne pas dépasser 80 °C pour son chauffage sous peine de lui faire perdre ses qualités nutritionnelles. On la privilégiera sans cuisson, pour des assaisonnements crus par exemple, ou après la cuisson.
Valeurs nutritionnelles en vitamines et minéraux dans la graine de chanvre1 (mg/100 g) | |
Vitamine E | 90 |
Thiamine (B1) | 0,4 |
Riboflavine (B2) | 0,1 |
Phosphore (P) | 1160 |
Potassium (K) | 859 |
Magnésium (Mg) | 483 |
Calcium (Ca) | 145 |
Fer (Fe) | 14 |
Sodium (Na) | 12 |
Manganèse (Mn) | 7 |
Zinc (Zn) | 7 |
Cuivre (Cu) | 2 |
Acides aminés essentiels de la graine de chanvre | ||
Histidine | 28 | 100 % |
Isoleucine | 39 | 100 % |
Leucine | 69 | 100 % |
Lysine | 41 | 80 % |
Méthionine + Cystine | 40 | 100 % |
Phénylalanine + Tyrosine | 81 | 100 % |
Thréonine | 35 | 100 % |
Tryptophane | 8 | 100 % |
Valine | 51 | 100 % |
Sachez également que des experts ont réalisé un « lait » à base de graines de chanvre. C’est une boisson à haute valeur nutritive et à faible pouvoir allergène. Une alternative intéressante dont même les enfants pourront profiter, à condition toutefois de ne pas l’utiliser comme un lait maternisé de substitution.
Mon dermato végétal
Parmi les acides gras oméga-3 de l’huile de chanvre, il en est un assez spécial. Rare au demeurant, l’acide stéaridonique (SDA) est présent jusqu’à 2 %. Une aubaine quand on connaît ses propriétés anti-inflammatoires ! Elle regorge également d’acide gammalinolénique (GLA), de vitamine E et de nombreux minéraux. Toutes ces caractéristiques en font une huile précisément adaptée pour l’entretien de la peau : hydratation, cicatrisation, antioxydation, anti-inflammation et régénération cellulaire seront au rendez-vous, le tout sans réaction allergique. Considérée comme sèche, l’huile de graines de chanvre ne graisse pratiquement pas. Elle pénètre rapidement au niveau du derme et toutes les peaux peuvent en bénéficier qu’elles soient jeunes ou matures. Une application régulière sera des plus efficaces pour atténuer les rougeurs, les inflammations et les irritations cutanées qui peuvent nous agresser. L’huile de chanvre peut également être employée pour l’entretien et le démêlage des cheveux. Rien de plus simple, il suffit pour cela de la mélanger au shampoing.
Thérapeutique, vraiment ?
Si la graine de chanvre peut optimiser notre alimentation et protéger notre peau, les fleurs et les feuilles de la plante élargissent incroyablement ses possibilités sur le plan de la santé. Mais le sujet est sensible, nous entrons dans le domaine des psychotropes.
Du XVIIe siècle jusqu’au début du XXe siècle, les Occidentaux profitaient déjà du chanvre indien (indica), soit fumé, soit sous forme de teinture alcoolique pour traiter avec succès de nombreux maux comme les douleurs chroniques, l’insomnie ou les convulsions. Ce chanvre thérapeutique fut supprimé et interdit de la pharmacopée française après deux conventions internationales (1925 et 1961). Une trentaine d’années plus tard, la découverte d’une substance dans les fleurs de chanvre allait relancer l’intérêt des scientifiques. Il s’agit des cannabinoïdes. Il en existe trois types :
▪ les phytocannabinoïdes, issus des plantes, dont essentiellement le chanvre ;
▪ les endocannabinoïdes, secrétés par l’organisme pour agir sur les neurotransmetteurs cérébraux et interagir avec les tissus contenant des récepteurs aux cannabinoïdes comme l’anandamide ;
▪ les cannabinoïdes de synthèse, obtenus chimiquement ou en modifiant les cannabinoïdes du chanvre dans un but thérapeutique.
Parmi les 130 phytocannabinoïdes identifiés dans les fleurs du chanvre psychotrope, on distingue pour les plus connus le THC, ou ∆-9-tétrahydrocannabinol, et le CBD, ou cannabidiol. Le premier, à l’origine des effets euphorisants et planants, est sujet à caution en France. Cela dit, le THC possède également de nombreuses vertus positives utilisées illégalement par certains malades: anti-nauséeuses, apéritives, antiépileptiques, décontractantes musculaires, antimicrobiennes, antalgiques, bronchodilatatrices, calmantes et normalisatrices de la tension oculaire... À l’heure actuelle, le THC existe aussi sous forme pharmaceutique extrêmement restreinte, mais il reste interdit à la consommation en France sous quelque forme que ce soit. Ce faisant, nous n’établirons pas ici sa promotion ni l’article de ses mérites.
Avec le CBD, c’est une autre histoire… Pas de propriétés planantes ou euphorisantes, pas d’addiction, mais des actions très prometteuses. Focus sur le CBD Soyons clairs, pour le moment, le CBD n’est ni complètement autorisé ni complètement interdit en France. La législation française n’a pas encore tranché, mais c’est bien cette molécule végétale au potentiel thérapeutique immense qui nous intéresse aujourd’hui. Plus de 1 500 références scientifiques, dont la moitié publiée ces cinq dernières années, font état de peu d’effets indésirables et d’une faible toxicité.
Quelques boutiques de CBD boutiques de e-liquide et de produits chanvriers commencent à fleurir en France, mais la grande distribution se fait surtout à partir de la Suisse, de l’Allemagne et du Portugal. Le Canada qui a aussi franchi le pas en 2018, propose même toute une déclinaison de produits à base de CBD par Internet.
Trois médicaments européens, indisponibles en France, sont à base de CBD: le Sativex®, l’Epidiolex® et le Cannador®. Hors Hexagone, le CBD est actuellement employé pour traiter la toxicomanie, l’inflammation, les troubles anxieux, la douleur, les nausées et pour inhiber la croissance des cellules cancéreuses. Des publications récentes démontrent même une efficacité dans la schizophrénie, les troubles du tonus musculaire et la sclérose en plaques. D’autres revues confirment ses propriétés protectrices du système cardiovasculaire (athérosclérose, AVC...) et du système nerveux (épilepsie, dépression, psychoses, Alzheimer...).
Pour les maux de tous les jours, les pays limitrophes de la France autorisant la vente de CBD en proposent pour lutter contre l’anxiété, en cas de sevrage tabagique, pour les troubles du sommeil, les douleurs et les inflammations chroniques quelles qu’elles soient. Le CBD se présente en général sous forme liquide ou e-liquide à vapoter, en gélules ou en crème à appliquer. Les experts déconseillent la prise en gélules car le CBD est majoritairement détruit par les acides gastriques. Ils recommandent plutôt la voie sublinguale à raison de 2 gouttes d’huile ou de teinture alcoolique par jour, à une concentration minimale de 5 à 10 % pour commencer. Bien entendu, toutes les personnes sous traitement médicamenteux demanderont préalablement l’avis de leur médecin pour éviter d’éventuelles interactions.
Ça bouge en France ?
Depuis son interdiction totale dans les années 1960, le cannabis semble enfin opérer une percée dans le milieu médical. En effet, courant juillet 2019, l’Agence française du médicament vient de l’autoriser pour des patients en impasse thérapeutique dans un test en situation réelle : des personnes en échec de traitement conventionnel ou ne supportant plus leurs effets secondaires pourront donc avoir accès à du cannabis à ingérer ou inhaler sous contrôle médical, mais non fumé. Les situations concernées sont les effets secondaires de chimiothérapies, les soins palliatifs et des pathologies neurologiques comme l’épilepsie, la sclérose en plaques ou les neuropathies.
Chanvre | Cannabis sativa | Administration | Indications | |
Graines | Farine | Alimentation | Optimisation nutritionnelle | Complémentation |
Huile | Alimentation | Protection cardiovasculaire et cérébrale | 2 cuillères à dessert/j | |
Peau | Protection cutanée, inflammation, rougeurs | 1 à 3 applications/j | ||
CBD (cannabidiol) | Extrait huileux ou alcoolique | Voie orale | Sevrage tabagique Anxiété
Douleur et inflammation |
(5 à 10 %) 2 gouttes sous la langue au départ |
E-liquide | Voie inhalée | Vapotage à la demande |
Une priorité absolue : les protéger !
Il existe une population particulièrement à risque concernant l’usage de psychotropes : les jeunes dans l’âge de la transgression et ce jusqu’à 25 ans. En effet, leur cerveau en voie de maturation est particulièrement sensible aux substances qui peuvent modifier la chimie de leur cerveau. Chez eux, la consommation régulière de psychotropes quels qu’ils soient peut engendrer des troubles aigus ou chroniques de l’humeur et de la personnalité, facteurs de décrochage scolaire et professionnel ainsi que de désinsertion sociale. Anxiété, dépression ou psychoses peuvent ainsi se déclencher plus facilement, même si les études montrent qu’une sensibilité génétique au produit y est pour beaucoup. La solution consisterait à interdire tout psychotrope (alcool, tabac, cannabis, drogues de synthèse licites et illicites) jusqu’à au moins l’âge légal de 18 ans, et d’engager enfin une véritable campagne de prévention à destination des mineurs qui, en général, en consomment plusieurs en même temps... Pour les personnes majeures, la légalisation du cannabis sous contrôle administratif et scientifique serait aussi pertinente. Cela pourrait permettre d’éviter les surdosages et les dangers d’un mauvais chanvre issu d’un trafic illicite.
L’état de béatitude chimique
Dans les années 1960, une équipe scientifique israélienne a découvert dans notre corps des récepteurs cellulaires particuliers, capables d’être activés à la fois par certaines substances végétales issues des fleurs du chanvre, les cannabinoïdes, mais aussi par une molécule circulante qui fut baptisée « anandamide », ananda signifiant « béatitude » en sanskrit. Sans le savoir, ces chercheurs avaient mis au jour un système biologique fondamental pour notre organisme, car participant au développement neurologique, aux fonctions immunitaire et cardiovasculaire, au métabolisme énergétique, au développement osseux et à la reproduction. On suspecte le système cannabinoïde de permettre l’équilibre entre le milieu biologique interne et les fluctuations de l’environnement externe.
La recette pour faire le buzz
Depuis cet été, un jeune boucher marseillais, Luca Morand, a décidé de surfer sur la vague du CBD. Son idée : commercialiser des saucisses au cannabis. Enfin… au cannabidiol. De quoi se détendre le temps d’un barbecue. Baptisée « ouidi », sa chippo à fait la une des journaux et la joie des curieux, venus en masse découvrir l’intrigante saucisse. C’est ce qu’on appelle un coup fumant !